Jean Perdijon (Grenoble)

On sait comment prendre en compte la dispersion des mesures pour estimer un caractère ou comparer des populations. Une nouvelle fonction statistique - le rejet maximal - est maintenant applicable au tri d'un lot.

Le tri d'un lot


De tous temps, on a souhaité séparer efficacement le bon grain de l'ivraie ! En contrôle de conformité, un caractère est acceptable tant qu'il reste inférieur (ou supérieur) à une certaine valeur et rejetable dans le cas contraire. Prenons l'exemple d'un lot de pièces : celles-ci sont bonnes tant qu'elles ne contiennent pas un défaut supérieur à une certaine taille spécifiée, alors qu'elles sont défectueuses dans le cas contraire. Il est alors important de pouvoir trier correctement les pièces, de façon que la proportion de pièces défectueuses d restant dans le lot après tri soit inférieure à une certaine valeur D, fixée en fonction des conditions d'emploi des pièces et de la fiabilité recherchée pour l'assemblage qui en sera fait.
Les contrôleurs ont souvent tendance à pratiquer les tris comme si leurs appareils de mesure étaient parfaits ! Dans l'étude des appareils de mesure, on distingue la justesse et la fidélité. La justesse est l'aptitude de l'appareil à fournir des indications qui ne sont pas entachées d'erreurs systématiques ; une étude attentive de la chaîne de mesure doit permettre de réduire ces erreurs et nous allons considérer par la suite qu'un étalonnage préalable et une surveillance des réglages ont éliminé toutes les erreurs systématiques. Il reste donc les erreurs accidentelles, dont les causes sont nombreuses et mal définies, qui paraissent suivre une loi de hasard. La qualité d'un appareil donnant des indications non entachées de ce type d'erreur est appelée fidélité ; on la caractérise par l'écart-type s de mesures répétées d'un même caractère. Il n'exista pas d'appareil avec s = 0.
Un tri se fait à partir de la mesure d'une pièce de référence, dont la valeur du caractère se situe juste à la limite de l'acceptable (nous supposerons qu'il s'agit d'une limite supérieure et que la courbe d'étalonnage est croissante) : en mesurant plusieurs fois cette pièce, on obtient à la fois la moyenne m, que nous allons considérer comme la vraie valeur de la référence, et l'écart-type s, qui caractérise la fidélité de l'appareil. Les mesures répétées d'une même pièce sont habituellement distribuées selon une loi normale : il en résulte que, pour une pièce donnée qui n'est mesurée qu'une fois, le résultat x a une probabilité P d'être compris entre la vraie valeur moins ks et la vraie valeur plus ks ; par exemple, pour k = 3, les tables de la loi normale donnent P = 0,998. Ainsi, cette pièce a une probabilité (1 - P)/2 d'être défectueuse si x < C = m - ks : C est le critère de rejet pour une confiance de (1 + P)/2. Mais savoir que la pièce fait partie d'un lot donné constitue une information supplémentaire qui va nous permettre d'être moins sévère sur le critère de rejet C, en prenant k' < k pour la même confiance sous certaines conditions. Nous supposerons que le caractère mesuré est normalement distribué dans le lot et que chaque pièce n'est mesurée qu'une fois.

Le rejet maximal


Avant tri, les caractères sont distribués à peu près normalement dans le lot (ligne 1). Lorsque les mesures sont parfaitement fidèles (colonne 1), le tri correspond à une marche d'escalier et permet d'éliminer uniquement et complètement les pièces défectueuses. Il n'en est plus de même quand les mesures sont infidèles (colonne 2) : on accepte des pièces défectueuses et on en rejette des bonnes. Pour diminuer le nombre de "défectueux" acceptés, il faut augmenter la sévérité du tri, c'est-à-dire décaler la courbe d'acceptation vers la gauche (colonne 3). Pour garantir en moyenne une proportion de "défectueux" après tri inférieure à une valeur spécifiée, la fraction marquée "rejeté" doit être inférieure à un certain rejet maximal, qui dépend de la proportion spécifiée et du décalage à gauche de la courbe d'acceptation. 

Avec un appareil parfaitement fidèle (s = 0), il suffirait de prendre C = m pour éliminer complètement les pièces défectueuses du lot (voir la partie gauche de la figure) : le rejet correspondrait exactement à la partie défectueuse du lot, d'où une proportion de pièces défectueuses après tri d = 0, et on pourrait spécifier sans problème une proportion maximale admissible D = 0. A partir du moment où il est infidèle, on est amené à accepter des pièces défectueuses et à rejeter des pièces bonnes ; on voit sur la partie droite de la figure que la seule façon de diminuer la proportion de "défectueux" après tri est de décaler la courbe "probabilité d'acceptation" vers la gauche, ce qui revient à rendre le contrôle plus sévère puisque la fraction marquée "rejeté" augmente. Nous allons donc prendre comme critère de rejet C = m - k's, où k' est le "niveau de tri". Comment fixer k' pour obtenir en moyenne d < D ? On n'a pas accès à d, mais seulement au taux de rejet r obtenu pour un certain niveau k'. Notre étude a montré qu'on peut remplacer la condition d < D sur la proportion de défectueux par une condition sur le taux de rejet : r < R, où R est une fonction de D et de k' que nous appellerons le "rejet maximal".

Pratiquement, les spécifications définissent une pièce de référence, avec un défaut de la taille maximale admissible, et fixent une proportion maximale D de défectueux après tri. La mesure répétée de la référence fournit une moyenne m et un écart-type s, d'où le critère de rejet C = m - k's pour le niveau de rejet k'. Appliqué à la mesure de chaque pièce du lot, ce critère conduit à un certain taux de rejet r. Pour que le tri ainsi effectué soit en moyenne acceptable, il faut que r < R, où R est le rejet maximal  correspondant à D et k' ; on a donc intérêt à choisir le niveau de tri le plus faible compatible avec la condition sur le taux de rejet. L'abaque ci-dessous donne le rejet maximal R en fonction du niveau de tri k', pour plusieurs valeurs de la proportion maximale D spécifiée ; les ordonnées sont graduées selon une anamorphose de la loi normale (ce qui donne une droite pour D = 0,5). On voit par exemple que, pour k' = 2, il faut avoir r < 38 % si on veut obtenir en moyenne d < 0,1 %, valeur souvent spécifiée quand on recherche un haut niveau de qualité.

Cette méthode trouve en effet principalement son domaine d'application quand il y a conjonction entre un besoin de grande qualité et des moyens peu fidèles pour la contrôler ; elle a été développée en premier pour les tubes de gainage des combustibles nucléaires, qui sont contrôlés par des moyens non destructifs (ultrasons, courants de Foucault). Nos instruments sont infidèles, il faut les améliorer. En attendant, les fonctions de Student et de Snedecor permettent de prendre en compte leur infidélité pour estimer un caractère ou comparer des populations. La fonction R joue un rôle tout à fait comparable quand il faut trier un lot.

 

Référence : J. Perdijon, Revue de Statistique Appliquée, vol. 28, n° 2, 1980, pp. 73-85 et vol. 46, n° 4, 1998, pp. 75-84.

Abaque donnant le taux de rejet maximal admissible R en fonction du niveau de tri k', pour plusieurs valeurs spécifiées D de la proportion maximale de défectueux après tri.